— Rowan, lâche ta machine à écrire quelques instants pour aider ta mère à préparer le souper !, s'agaça le patriarche Mayfair. Rowan était comme ça, un gamin toujours dans les nuages, perdu dans une imagination débordante et sans frontières. Il tapait des pages et des pages de caractères à l'encre en suçotant son crayon de papier, imaginant un univers loin de celui dans lequel il vivait, très pieux, catholique et formalisé par les prières et le respect des valeurs saintes. Rowan abandonna son stylo dans un soupir, rangea la pile de feuilles tapées au matin, impeccablement avant de se lever pour obéir à son père, prêtre de la paroisse locale. Dès qu'il fût arrivé dans la cuisine, sa mère lui donna une pile d'assiettes à disposer sur la table. Il n'était que trois et pourtant, chaque soir, ils ouvraient la demeure familiale pour les habitants dans le besoin. C'était une question de volonté, d'exhausser le souhait de dieu de ne faire qu'une seule et même communauté, unie dans le respect. Rowan s'exécutait, ne bronchait pas même s'il détestait la foule, toujours à lui dire qu'il était trop timide, trop isolé à toujours écrire dans son carnet ou sur sa machine plutôt que de jouer avec les autres enfants. Alors qu'il s'appliquait à aligner les assiettes, il sentit qu'on lui tapotait sur l'épaule. Rowan se retourna, ses boucles brunes tombant sur son front.
— Lou, murmura-t-il avec un léger sourire. Lou, c'était une gamine bizarre avec plein de frères et sœurs, qui vivaient avec ses grands-parents et sa maman. Tout le monde disait qu'il fallait être gentil avec sa famille parce que son père était mort à la guerre.
— Rowan, articula-t-elle en clignant les paupières de ses grands yeux de biche. La petite fille glissa sa main dans celle du bouclé pour l'amener en courant dans le jardin où les adultes discutaient. Elle s'assit sur la balançoire, attendant sagement qu'il la pousse ; Rowan s'exécutait sagement.
Puis un jour, l'idylle d'enfants bascula.
Les adultes se bousculaient dans la maison des Mayfair. Le quartier, la ville même, était en alerte pour la disparition de Lou. Ils questionnaient tous Rowan.
— Rowan, tu as vu un numéro sur la voiture dans laquelle elle est montée ? Tu as vu la personne qui la conduisait ?. C'était son père. Mais en garçon effrayé par les adultes, Rowan garda le silence, vingt ans durant.
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— Rowan, par ici ! Rowan, s'il vous plaît, une dédicace. On l'appelait partout si bien que Rowan ne savait plus où donner de la tête. Tous brandissaient son livre, Sailor, un best-seller en passe de détrôner les grands succès littéraires de ses dernières années. Rowan Mayfar était courtisé par tous les libraires et les médias. Il était le nouveau phénomène littéraire américain, la nouvelle tendance.
Le magasin était plein à craquer comme jamais la petite librairie de Tree Hill ne l'avait été. Rowan leva les yeux, sourit à sa lectrice et attrapa le livre à signer.
— Je signe à quel nom ?, demanda-t-il en l'observant, toujours souriant.
— Lou. Rowan leva de nouveau les yeux, fronçant les sourcils et l'observant de plus près. Ce prénom lui faisait toujours cet effet. Son coeur se serra. C'était son regard. Et dans le sien, il comprit : elle savait qui il était.
— Jimmy, trouve-moi une maison à Tree Hill, j'y reste.